Allocution du 15 août de Mgr Philippe Ballot place Saint-Jacques

À l’occasion des festivités de l’Assomption 2023, dans le cadre de la procession mariale jusqu’au pied de la Vierge, place Saint-Jacques à Metz, Mgr Philippe Ballot, 104è évêque de Metz a donné une allocution devant les fidèles, les élus et les citoyens présents.

Voici le texte intégral de son allocution :

Monsieur le Maire, chers amis en vos grades et qualités,

Nous sommes heureux de nous retrouver tous ensemble devant la statue de Notre-Dame de Metz qui vient d’être restaurée par la ville. Au nom de tous les catholiques, j’en remercie la municipalité.

Je me suis préparé à ce moment, dans la prière. Cela ne vous surprendra pas, puisque je suis croyant et comme croyant j’affirme que notre monde et nos vies ne sont pas enfermés dans des forces obscures qui s’affronteraient. Ma foi en Dieu fonde mon Espérance. Mais aussi parce que je rejoins cet après-midi l’âme de notre cité, de notre Moselle qui m’a accueilli, cela fera bientôt un an. Elle m’a accueilli comme une famille accueille un nouvel enfant. C’est également pour bien m’inscrire dans le souvenir de mes prédécesseurs, Mgr Willibrord Benzler qui fait le vœu en 1918 d’ériger un monument en l’honneur de la Vierge Marie si la ville de Metz était épargnée, son successeur Mgr Jean-Baptiste Pelt qui réalise ce vœu en 1924, Mgr Joseph Heintz qui, le 15 août 1940, avec les Messins, défie paisiblement l’occupant nazi en se rendant au pied de Notre-Dame, la vénérant et rappelant ainsi que la victoire nazie n’est pas acquise. Tout cela a été porté dans la prière durant plusieurs mois.

Spontanément et comme naturellement m’est venu à l’esprit un verbe, lorsqu’est commémorée cette démarche, ce mouvement du 15 août 1940 : résister. C’est un verbe qui décrit une action qui exclut la résignation, qui exclut le désespoir, qui exclut le pessimisme, qui exclut le découragement, qui exclut l’opportunisme qui fait fi de la situation.

Notre devise républicaine : « liberté, égalité, fraternité » nous unit pour combattre cette tentation d’être résigné qui peut toujours nous atteindre dans les moments d’épreuve, cette tentation du désespoir qui peut nous envahir, du pessimisme ou du découragement qui peut prendre le dessus, de l’opportunisme quand on ne pense qu’à profiter d’une situation quelle qu’elle soit. Nous devons aujourd’hui résister à cet ennemi sournois qu’est le désespoir ou la lassitude qui voudrait nous faire croire que nous ne serons pas capables de relever les défis de notre temps. Les relever avec qui ? Tout particulièrement avec notre jeunesse, avec nos jeunes, avec tous nos jeunes sans exclusive, de tous nos quartiers, avec toute notre jeunesse. Avec eux, avec elle, construisons aujourd’hui ensemble notre société !

Nous sommes libres, mais la liberté serait-elle un absolu ? Nous connaissons ce poison, cette maladie de la liberté qui se nomme «individualisme ». Il détruit les relations entre nous.

Nous sommes égaux, mais l’égalité est-elle un absolu ? Nous connaissons ce poison, cette maladie de l’égalitarisme quand on veut systématiquement en toute circonstance être comme l’autre que l’on envie, n’acceptant pas d’être différent.

Liberté et égalité ne sont pas des absolus, car elles sont menacées par ces deux poisons, ces maladies, et parce qu’elles ne peuvent s’exercer qu’en lien avec la fraternité, sous son contrôle en quelque sorte. Liberté, égalité, fraternité.

Cette fraternité que le concordat et le droit local permettent de vivre au plus près des relations quotidiennes.

Car il y a, dans notre tradition, dans cette reconnaissance des particularités liées à l’histoire, le désir de se mettre d’accord, de se soutenir, de ne pas s’ignorer, de vivre la subsidiarité, de servir ensemble le bien commun, chacun dans son domaine de responsabilité, autorités civiles, politiques et autorités religieuses se parlant. Avec le soutien de tous pour que la liberté religieuse, liberté fondamentale, ait les moyens de son exercice.

Nous avons conscience qu’avec la fraternité, nous sommes sur un terrain différent de celui de la liberté et de l’égalité. Être frère invite à accueillir l’autre, quel qu’il soit dans sa propre vie. Avec cet impératif « Tu ne tueras pas », un des dix commandements considérés comme une parole de vie dans la catéchèse.

C’est lorsque nous sommes frères que nous pouvons être en paix sans besoin d’armes. La Moselle le sait et en donne le témoignage concret. Nous sommes aujourd’hui, sur cette terre meurtrie par tant de combats et d’années d’occupation, les frères et sœurs de ceux avec qui nous nous sommes battus, armés à trois reprises, qui nous ont aussi, malgré nous, enrôlés. La fraternité, oui, nous le savons, est le chemin sûr d’un monde pacifié sans armes.

Et elle est d’abord un don. Elle s’accueille pour ensuite se développer. Il nous faut donc sans cesse susciter des relations de confiance et d’écoute entre tous nos concitoyens et avec ceux que nous accueillons, membres d’autres patries.

Je me questionne alors : quel est le fondement de cette fraternité qui nous ouvre un tel chemin, son fondement ultime ? 

Ces dernières années, bien des évènements et des actes l’ont mutilé profondément : le terrorisme, les assassinats de journalistes, de professeurs et d’autres personnes, les révélations d’abus graves sur les enfants et les personnes vulnérables dans notre Église et ailleurs, la destruction violente des biens, la violence à l’égard de ceux qui exercent l’autorité -je pense aux élus et aux forces de l’ordre, à nos militaires tombés en opération de maintien de la paix, mais aussi la sévère crise climatique dont l’homme de notre siècle porte l’entière et totale responsabilité.

Dans leur sagesse millénaire, les religions apportent une réponse. Comme l’écrit le Pape François dans son encyclique « Fratelli Tutti », « tous frères », si nous sommes frères et sœurs, nous pouvons affirmer aussi que nous ne sommes pas des frères et sœurs orphelins. La fraternité n’est pas une abstraction ou une simple construction intellectuelle. Elle n’est pas plus réductible à une convention ou à un contrat qui pourrait être dénoncé. Car elle n’est pas extérieure à nous-mêmes. Elle est constitutive de notre commune nature humaine et inscrite dans notre personne concrète, ouverte à la relation. Enfin, elle nous est donnée dès les premiers instants de notre existence. Mais par qui ? Un chef d’Etat ? Non, il deviendrait vite dictateur comme l’histoire du 20ᵉ siècle nous l’a enseigné. Le peuple ? Pas davantage, parce qu’elle est bien plus large, universelle même, et ne se réduit pas à la seule citoyenneté. En vérité, elle exprime notre dignité propre d’être humain relié à tout être humain par une origine commune qui nous dépasse. Elle vient d’ailleurs. Et cet ailleurs, les croyants l’appellent Dieu.

Dans la même encyclique, le pape François rappelait : « Nous, croyants, nous pensons que, sans une ouverture au Père de tous, il n’y aura pas de raisons solides et stables à l’appel à la fraternité. Nous sommes convaincus que ‘ c’est seulement avec cette conscience d’être des enfants qui ne sont pas orphelins que nous pouvons vivre en paix avec les autres ’.[260] En effet, ‘ la raison, à elle seule, est capable de comprendre l’égalité entre les hommes et d’établir une communauté de vie civique, mais elle ne parvient pas à créer la fraternité’ ».[261] (Fratelli Tutti 272)

Ce Mystère des origines nous relie les uns aux autres. Il est source d’humanité. Mais que nous l’ayons identifié ou pas dans notre totale liberté, chacun dans sa conscience devrait au moins se poser la question : au nom de la fraternité, est-il nécessaire de blesser, d’humilier, de faire souffrir lorsque nous écrivons, parlons et même dessinons ! L’humour oui, même un tantinet mordant, la haine jamais !

Notre vivre ensemble pourra-t-il encore longtemps supporter cette violence qui s’exprime trop souvent sur les écrans et les réseaux sociaux?

La liberté d’expression est nécessaire pour dénoncer tous les despotismes et les maux de notre temps. Que son usage détourné et abusif ne fragilise pas cette fraternité qui fait vivre ! Quand l’autre est d’abord considéré comme un frère, une sœur, j’exerce ma liberté autrement, et quelquefois, je m’abstiens. S’il n’y a pas de conscience sans liberté, il n’y a pas non plus de liberté sans conscience. L’exercice plénier de ma liberté humaine exige l’exercice plénier de ma responsabilité morale. Sinon, elle se détruit de l’intérieur, comme un cancer.

La devise républicaine est forte. Elle nous unit. Ne pourrions-nous pas la dire et la vivre dans cet ordre nouveau « Fraternité, Égalité, Liberté » Aujourd’hui il nous faut revenir à sa source pour ne pas la sacrifier et ainsi la perdre ! Et pour le chrétien, qu’il vive totalement l’Évangile où elle y est si souvent rappelée !

Dans ce temps particulier, rapprochons-nous d’un autre diocèse qui vénère lui aussi Marie. Marseille. Voici ce qu’écrit le Cardinal Jean-Marc AVELINE, archevêque de Marseille, préparant l’accueil du pape François dans quelques semaines : « La fraternité, voilà ce que l’Église qui est à Marseille aimerait offrir à tous ceux qu’elle accueillera, de France et d’ailleurs, à l’occasion des Rencontres Méditerranéennes et de la venue du pape François. Avec lui, elle se souvient de saint Charles de Foucauld, qui souvent embarqua à Marseille et traversa la Méditerranée, en quête de sa propre vocation. Peu de temps après être arrivé à Béni-Abbès, Foucauld écrivait : « Je veux habituer tous les habitants : chrétiens, musulmans, juifs et idolâtres, à me regarder comme leur frère universel. Ils commencent à appeler la maison “la fraternité” et cela m’est doux. » Alors l’Église de Marseille se prend à rêver qu’un jour, la Méditerranée puisse être appelée : « mer de la fraternité » ! Elle sait que le chemin sera long, mais plus encore qu’un rêve, c’est son espérance ! »

Pour conclure, nous pourrions tous ensemble dire à cet archevêque et aux habitants de cette cité : « Monsieur le Cardinal et vous, amis de Marseille, vous avez raison. Alors, venez nous rendre visite, car la Fraternité est toujours la plus forte, nous en sommes les témoins, et nous le proclamons aujourd’hui au pied de Notre-Dame comme vous au pied de Notre-Dame de la Garde. Oui, votre Méditerranée va devenir ‘mer de la fraternité’ »

Mgr Philippe Ballot

 

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