Quelques figures spirituelles du diocèse

Caroline Carré de Malberg
(1829 -1891)

Mère de famille courageuse et fondatrice des Filles de saint François de Sales.

Sa vie

Caroline Colchen est née à Metz le 11 avril 1829. Elle a grandit dans la spiritualité salésienne chère à sa maman. Elle a été sensibilisée à Dieu dès son enfance. Cette anecdote touchante du jour de sa première communion peut en témoigner :

« Alors qu’on lui proposait de venir jouer elle répondit :
– « N’approchez pas de moi aujourd’hui, je dois être toute à Dieu.«  »

Elle est instruite par les sœurs du couvent de la Visitation. Elle y contractera la typhoïde qui la laissera d’une constitution fragile pour le reste de sa vie.

La bienveillance des sœurs lui fait découvrir le chemin de sainteté qui se dessine dans l’effort, la charité et un regard juste sur soi-même, dans les qualités comme dans les défauts. Grâce à l’abbé Jégou, son premier conseiller spirituel, elle commence un profond travail sur son âme pour se rapprocher de Dieu dans une soif permanente de transparence à Dieu. Elle entendit un jour : « Depuis 40 ans je suis assis sur la margelle de ton cœur, ne pouvant y entrer, puisque la porte ne s’ouvrait que pour se refermer encore ; mais maintenant j’y suis et je l’habite en roi ». Elle ne cessera jamais de se remettre en question et de se méfier des tentations qui éloignent de Dieu. Consciente de ses imperfections elle sera une merveilleuse mère pour ses enfants et ses Filles de saint François de Sales.

Une épouse

Épouse d’un homme, Paul, mais aussi et surtout épouse d’une âme pour laquelle elle ne cessera de prier pour la gagner à Dieu. D’un tempérament complexe et colérique, Paul connaitra la miséricorde et l’amour inconditionnel de Dieu par l’exemple de sa femme. La patience et l’amour étaient les meilleures armes pour que leurs âmes se rencontrent. Ils y parviendront au terme d’une vie jalonnée d’épreuves mais habitée par Dieu.

Une mère

Paul et elle auront quatre enfants. Tous, ils les accompagnèrent jusqu’à la porte qui conduit à Dieu, jusqu’à la mort. Elle les élèvera avec le souci constant de les mener à la sainteté. Le Seigneur avait la première place dans l’éducation qu’elle leur donnait. Elle connut tous les soucis que peuvent rencontrer des parents : le chagrin, la révolte, l’opposition. Mais aussi le grand bonheur d’avoir eu la confiance du seigneur pour guider « ses anges du ciel« .

Une mère spirituelle

Elle fonda avec son ami et conseiller spirituel, l’abbé Chaumont, « l’œuvre du cœur de Jésus« , les Filles de saint François de Sales. Un grand nombre de lettres témoignent de la grande tendresse qu’elle portait à ses filles. S’en suivirent les prêtres et les Fils de saint François de Sales qui découlèrent de ce désir de Dieu ; former des âmes pour qu’elles rayonnent de sa miséricorde.

Son rayonnement et sa force

Un abandon et une confiance sans concession à la miséricorde et à l’amour de Dieu. « Vive Jésus à tous nos dépens !« , disait-elle souvent.

Les souffrances du cœur et de l’âme étaient bien réelles, mais « grâce à Dieu mon âme tient debout« , écrit Caroline.

Dans sa grande crainte de ne plus rayonner de la joie intérieure auprès des âmes lors de grandes peines, l’abbé Chaumont lui dira : « Je ne vous commande pas toujours l’hilarité extérieure quand elle n’est pas possible à la nature ; mais avec la grâce de Dieu, ne serait-il pas possible au moins que les rayons du soleil se fissent jour au milieu de ce déluge de larmes ? Les âmes affligées (…) ne pourraient-elles au moins trouver dans ces larmes mêmes, l’arc-en-ciel qui réjouit et rassure ? (…) Humainement c’est impossible ; Dieu aidant, on peut y arriver (…) C’est le sourire de Jésus qui se traduit sur nos lèvres« . Voici la voie que choisit Caroline.

Avec nous aujourd'hui

Caroline la femme, celle qui choisit de répondre à l’amour de Dieu, de répondre à la mission qui lui est confiée. Dans notre liberté d’hommes et de femmes chrétiens nous avons à chercher et à répondre à cet appel, en laissant nos cœurs ouverts et confiants devant l’amour de notre Seigneur, quel que soit notre chemin de vie.

Caroline l’épouse, celle qui vécut son mariage comme une véritable vocation, au delà du bonheur qu’elle ne connaitra que très peu en couple. Elle nous rappelle le chemin de sanctification que nous avons à vivre avec notre conjoint. Nous sommes responsables de l’autre dans son chemin vers Dieu « dans la joie comme dans les épreuves ».

Caroline la mère, celle qui avait à cœur de faire grandir l’âme de ses enfants dans l’amour de Dieu. Elle nous fait prendre conscience de la grande responsabilité d’âme que nous avons vis-à-vis de nos enfants que Dieu nous a confiés. Nous pouvons prier comme elle :

Seigneur, vous qui les aimez plus que je ne puis moi-même les aimer, mieux que moi vous savez ce qui peut tourner davantage à leur bien.
Accomplissez en eux, ô mon Dieu, les desseins de votre providence Divine.
Sauvez l’âme de mes enfants de tout péril et soyez béni de tout ce qui adviendra.
Amen.

Caroline la mère spirituelle, celle qui a répondu à sa vocation de laïque pour faire rayonner l’Évangile autour d’elle, puis dans le monde. Sa mission d’apôtre est celle à laquelle nous sommes tous appelés en tant que laïques afin d’être les témoins de l’amour de Dieu pour le monde. À chacun de demander et de répondre aux appels du Seigneur.

Prière pour sa cause

Seigneur, tu as mis au cœur de Caroline Colchen le désir de t’aimer sans rien te refuser.
À son exemple, fais moi vivre de l’Esprit de Jésus en accueillant le quotidien selon le dessein de Dieu.
Daigne manifester sa sainteté en m’accordant par son intercession les grâces qui me sont nécessaires.

Par Jésus Christ, Notre Seigneur.

Amen

Étienne Pierre Morlanne
(1772 – 1862)

Médecin qui œuvra à Metz pendant plus de soixante ans pour la prise en charge de la maternité et de la naissance à Metz.
Il est le fondateur de la Congrégation des Sœurs de la Charité Maternelle.

Sa vocation

Étienne Pierre Morlanne, dont la figure originale a marqué pendant plus de soixante ans la prise en charge de la maternité et de la naissance à Metz, est né dans cette ville le 22 mai 1772 d’un père béarnais, Pierre, chirurgien major du régiment Royal-Pologne, originaire d’une famille comptant trois générations de médecins et de chirurgiens, et d’une mère messine, Antoinette Janet, fille d’un marchand de la place Saint-Jacques et petite fille d’un maître chirurgien, une femme énergique, d’une piété profonde, à laquelle il vouera toute sa vie une affection sans bornes. Orphelin de père à l’âge de 15 ans, il envisage d’être prêtre et entre au séminaire Sainte-Anne le 11 novembre 1789. Il est tonsuré, mais, au printemps 1791, les événements révolutionnaires aboutissent à la fermeture du séminaire.

Grâce à d’anciennes relations de son père, il entre alors comme élève-chirurgien à l’hôpital militaire de Metz, au Fort-Moselle, où le chirurgien-chef, Rémy Augustin Ibrelisle, le prend sous sa protection, à un moment où il importe de former rapidement des chirurgiens, car les blessés commencent à affluer depuis que les armées ennemies ont franchi les frontières de la nouvelle République. Étienne Pierre Morlanne obtient rapidement le brevet d’officier de santé et de chirurgien. Ce qui fut déterminant cependant durant cette période militaire, c’est que, dès 1793, il accompagnait son maître Ibrelisle au Dépôt de mendicité. Fondé en 1770 dans l’ancien hôtel abbatial Saint-Vincent, cet établissement recueille les plus pauvres et les plus démunis, ramassés souvent dans la rue, ainsi que les malades des prisons qu’il n’est pas question d’héberger dans les hospices. Très vite, du fait des absences répétées de son maître, c’est sur Morlanne que reposent les soins à effectuer, dans un contexte de plus en plus délicat à cause de l’état des finances publiques. C’est là cependant que Morlanne, particulièrement frappé par la situation difficile des filles mères et des femmes indigentes, trouve véritablement sa vocation. Sans avoir encore totalement renoncé à être prêtre (il continua d’ailleurs, toute sa vie, à porter le costume des séminaristes de l’Ancien Régime), il est cependant encouragé dans cette nouvelle mission par le nouvel évêque concordataire, Mgr Bienayme, auquel il avait écrit : « Monseigneur, depuis quatre ans, la divine Providence m’a permis de porter remède à une plaie sociale sensible à notre patrie, lamentable aux yeux de l’Église. Un grand nombre de nouveau-nés ou d’enfants à naître meurent, faute de soins intelligents… de malheureuses mères succombent chaque jour… Je me sens capable, si Dieu me prête vie et assistance, de lutter pour la guérison de ces plaies sociales… Un grand nombre d’enfants seront baptisés… nous ferons fleurir à nouveau la doctrine catholique sur le mariage et assurerons les bénédictions divines promises à la fécondité conjugale».

Au service des mères et des enfants

À cette date en effet, Ibrelisle et Morlanne avaient obtenu qu’une partie des locaux du Dépôt de mendicité soient affectés à l’accueil des femmes enceintes et à la formation de futures sages-femmes. Cette Maternité devint en même temps, par arrêté préfectoral du 15 prairial an X (4 juin 1802), l’École pratique d’accouchement du département de la Moselle. Morlanne, nommé directeur du Dépôt de Mendicité en 1803, y assurait la formation des sages-femmes et s’occupait en même temps activement de la propagation de la vaccination contre la variole, après avoir publié, en 1798, une traduction du livre de Jenner.

Devant l’importance de la tâche, il fallait un personnel compétent et dévoué : Morlanne mit ainsi en place une Association de filles destinées aux accouchements des femmes indigentes et à la propagation de la vaccine dont une partie vivait en communauté à la maternité, tandis que d’autres étaient formées pour prodiguer à domicile les soins aux mères indigentes. Ces « infirmières des pauvres », comme on les désigna d’abord, devaient s’engager pour un temps minimal de trois ans et, si elles le souhaitaient, leur contrat était ensuite reconduit chaque année. Il ne s’agissait pas encore d’une congrégation religieuse, même si ce fut bien le noyau de la future congrégation des Sœurs de la Charité maternelle, mais la mission de ces filles était effectivement à la fois médicale et spirituelle, selon la formule inscrite, en latin, au fronton de la nouvelle maternité : « Pour le salut des mères et des enfants ».

Pour assurer la pérennité de son œuvre, Morlanne devait obtenir la reconnaissance officielle de cette association et, surtout, trouver des financements car les subsides publics étaient très insuffisants pour répondre à l’ampleur de la tâche : en vue de recourir à la générosité et à la charité privées, il fonda, en collaboration avec l’épouse du préfet, Mme de Vaublanc, la Société des Dames de la Charité maternelle, une société aristocratique et bourgeoise qui réunissait les plus grandes familles de la ville et qui présida aux destinées de l’association des Sœurs de la Charité maternelle jusqu’en 1869.

Une organisation médico-sociale

L’organisation médico-sociale, désormais bien en place, connut un grand succès et Morlanne sollicita la mise à disposition de locaux plus vastes et plus salubres, ce qu’il obtint par un arrêté préfectoral du 25 août 1808 qui attribuait à l’hospice de la Maternité l’ancien couvent des Trinitaires, rue de la Bibliothèque (actuellement rue du Haut-Poirier) ; les filles mères cependant ne furent pas admises dans ces nouveaux locaux et restèrent au Dépôt de Mendicité. Morlanne continua à se dévouer corps et âme dans les deux établissements, mais le 14 février 1811 un incendie ravagea totalement le Dépôt et les lieux furent alors abandonnés. Toutefois, l’année précédente, le 24 août, il avait acheté une partie de l’ancien couvent de la Visitation, implanté 36 rue Mazelle, une acquisition complétée en 1823 par l’achat de l’église, et, en 1824, par l’achat du reste des bâtiments conventuels. Son intention était d’ouvrir dans ces locaux une maison de santé destinée aux plus démunis de la société. Effectivement, il y consulta gratuitement de 1811 à 1852, délivrant des médicaments et pratiquant les vaccinations. Ces locaux lui permirent également de recevoir décemment pour leurs accouchements les filles-mères, les femmes abandonnées et les femmes étrangères que leur condition excluait de l’hospice de la Maternité. À partir de 1832, à la demande du préfet et du maire de Metz, une salle fut spécialement réservée aux filles-mères moyennant une modeste rétribution. Fidèle à la mission spirituelle qu’il s’était aussi toujours assignée, il obtint l’autorisation d’ouvrir dans cette maison un oratoire au sein duquel il transféra les ossements des religieuses visitandines découverts dans les caves au cours des travaux d’aménagement. Son intention était en fait de faire venir aussi dans cette maison de la rue Mazelle les filles de l’Association de la Charité maternelle, qui s’étaient installées aux Trinitaires en 1808.

La reconnaissance officielle

Morlanne gardait toujours l’espoir de stabiliser sa jeune association et, pour cela, de lui obtenir une reconnaissance officielle. Ses démarches répétées, qui lui avaient déjà permis d’obtenir un décret d’utilité publique en 1810, aboutirent enfin avec une Ordonnance de Louis XVIII qui confirmait l’association sous le titre d’Institution des Sœurs de la Charité maternelle, le 2 décembre 1814. Aux yeux de l’évêque, Mgr Jauffret, comme aux yeux de beaucoup de ses contemporains, cette congrégation religieuse de sages-femmes continue cependant à apparaître comme une idée incongrue, restant à ses yeux, comme il l’écrivait en janvier 1818, « un établissement purement civil et tellement étranger à tout lien religieux que les filles qui s’y vouent ne prennent qu’un engagement temporaire par devant l’administration des hôpitaux ». Morlanne ne renonça pas et, avec l’appui des Dames de la Charité maternelle, il réussit enfin à obtenir de l’évêque, qui présida la première cérémonie de prise d’habit le 7 mars 1823, la reconnaissance ecclésiastique sous le nom d’Association charitable des Sœurs de Sainte-Félicité. De nouveaux statuts sont élaborés à cette occasion, qui mettent les sœurs sous la dépendance étroite des Dames de la Charité maternelle, évoquant seulement un respect reconnaissant dû à leur professeur : Morlanne, qui se trouve ainsi écarté de la direction de son œuvre, quitte le logement qu’il occupait à la Maternité pour la maison de santé de la rue Mazelle, où il continue, en même temps qu’à la Maternité, à prodiguer ses cours aux futures sages-femmes.

La maison de santé connut rapidement de graves difficultés financières malgré les sollicitations adressées aux autorités locales et nationales par Morlanne qui, plus homme de cœur que gestionnaire, y engagea toute sa fortune et ses revenus personnels. Les dettes s’accumulèrent et l’immeuble fut finalement vendu par adjudication en 1852. Morlanne se retira alors dans un appartement loué au second étage du 71 rue Mazelle, en face de l’église Saint-Maximin. Malgré ses quatre-vingts ans il ne renonce pas cependant, fonde « l’Œuvre humanitaire » et continue à donner des consultations gratuites, à pratiquer des vaccinations et à accueillir les filles-mères indigentes. C’est dans un grand dénuement qu’il meurt dans cet appartement le 7 janvier 1862 à près de quatre-vingt-dix ans. Contrairement à ses dernières volontés, la municipalité lui fit des funérailles solennelles, avec la participation d’une foule considérable au premier rang de laquelle se tenaient les Sœurs, suivies des notables.

Une congrégation florissante

Au décès de d’Étienne Pierre Morlane, sa fondation est déjà florissante et « le grain de sénevé, semé par le charitable Morlanne, est devenu un arbre« . Se libérant de la tutelle des Dames de la charité maternelle, les sœurs élurent, pour la première fois, leur supérieure générale, Mère Alexis, en 1869, avant de réviser les statuts, qui furent acceptés par Mgr Dupont des Loges en 1884, pour devenir une authentique congrégation diocésaine avec une règle comportant des vœux perpétuels de pauvreté, chasteté et obéissance.

Débordant les cadres du diocèse, où elles ont, au siècle dernier, géré la plus importante maternité du département, elles ont essaimé en France, en Belgique et en Afrique, en particulier en République démocratique du Congo où se trouve, à l’heure actuelle, la plus importante de leurs communautés. Toujours fidèles à l’esprit de leur fondateur, elles ont obtenu auprès de l’évêque de Metz, Mgr Pierre Raffin, l’ouverture, en janvier 1989, du procès en vue de la béatification d’Étienne Pierre Morlanne.

Prière pour sa glorification

Ô Père, tu as voulu que ton fils vive en Marie, selon la loi commune, avant de naître, vivre, mourir et ressusciter pour nous. Ton humble Serviteur Pierre Morlanne savait la valeur de toute vie humaine et particulièrement de la vie dans le sein maternel. Il l’a montré en instituant la Congrégation des Religieuses de la Charité Maternelle.

Il a été attentif et fort pour le bien des mères et des enfants.

Daigne nous accorder de voir bientôt la sainte mère Église honorer sa mémoire et nous donner en lui un modèle et un intercesseur de plus auprès de Toi pour nous aider à parvenir nous aussi à la nouvelle naissance dans la vie éternelle. Amen.

Notre Père – Je vous salue, Marie – Gloire au Père

Par l’intercession de ton serviteur Étienne Pierre Morlanne, accorde-nous, s’il te plaît la grâce… (préciser laquelle) pour que nous puissions mener une vie qui te plaise, te louer et t’aimer toujours. Par Jésus ton Fils, et Fils de Marie, Notre Seigneur. Amen.

Décret sur les vertus

METZ
Béatification et canonisation
du Serviteur de Dieu Étienne Pierre Morlanne
Fidèle laïc
Fondateur de la Congrégation des Sœurs de la Charité Maternelle
(1772 – 1862)

Décret sur les Vertus

«Je suis la lumière du monde ; qui me suit, ne marche pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie» (Jn 8, 12).

À une époque, universellement connue comme celle des Lumières, durant laquelle se manifestèrent, à côté de réels progrès, de tragiques injustices, brilla le lumineux témoignage du Serviteur de Dieu Étienne Pierre Morlanne : en suivant fidèlement le Seigneur Jésus, il parvint à la perfection évangélique et fit rayonner autour de lui la splendeur d’une charité généreuse et désintéressée.

Le Serviteur de Dieu naquit le 22 mai 1772 à Metz, dans l’Est de la France, d’Étienne-Pierre, chirurgien militaire, et d’Anne-Antoinette Janet. Après la première éducation reçue en famille, il fréquenta un lycée tenu par les Bénédictins. Il perçut les signes de la vocation sacerdotale et, après avoir reçu la tonsure, entra, en 1789, au séminaire de Metz. Mais, dans le difficile contexte des années de la Révolution française, le séminaire fut bientôt fermé et les séminaristes contraints de revenir dans leurs familles.

Dans cette nouvelle situation, le Serviteur de Dieu, suivant le conseil de plusieurs prêtres, s’inscrivit à la faculté de médecine et commença sa carrière de médecin à l’hôpital militaire local, charge qu’il reçut très vite à cause de la guerre éclatée en 1792 entre la France et l’Autriche. En outre, il se distingua aussi par son travail au refuge de mendicité, qui accueillait les personnes les plus démunies ainsi que les femmes enceintes appartenant aux couches sociales les plus pauvres.

Bien que le Concordat signé en 1801 par Napoléon Bonaparte et le pape Pie VII lui ait ouvert la possibilité de revenir au séminaire, Étienne-Pierre décida de rester laïc et de poursuivre son activité en faveur des marginaux. Un épisode contribua à cette décision : il fut appelé au chevet d’une paysanne qui allait accoucher et, conscient de son incompétence, le Serviteur de Dieu se confia au Seigneur dans la prière et réussit à sauver la femme et le nouveau-né. À partir de ce moment-là, il se consacra spécialement à l’obstétrique. C’est dans la même optique qu’en 1802 il ouvrit un refuge pour venir en aide aux femmes enceintes, refuge qui devint ensuite une école pour sages-femmes.

Entre-temps, le Serviteur de Dieu choisit quelques jeunes filles parmi les plus motivées et les plus disponibles au service, et leur proposa de donner naissance, en 1804, à la Congrégation des Sœurs de la Charité Maternelle. En 1822, la nouvelle famille religieuse reçut l’approbation de l’évêque de Metz, qui confirma l’approbation civile, déjà concédée, en 1814, par le roi Louis XVIII.

Le Serviteur de Dieu se consacra à l’enseignement de la chirurgie, approfondit, en outre, sa connaissance de maladies particulièrement agressives, comme la variole, et contribua à la diffusion du vaccin. Tout en continuant son œuvre en faveur des filles-mères, il fonda avec quelques amis prêtres le Comité de l’Œuvre Humanitaire. Le Serviteur de Dieu dut affronter de nombreuses difficultés dans l’accomplissement de sa mission, notamment les préjugés et les discriminations envers les personnes qu’il assistait. Mais il affronta toutes ces difficultés avec une force résolue et, surtout, avec une foi profonde et une grande cohérence de vie.

Son profil spirituel se caractérise par une certaine sévérité et une certaine austérité dans sa conduite, un total détachement des soucis matériels, une solide et féconde espérance. Toujours disponible envers le prochain, il vécut dans une absolue pauvreté et dépensa ses ressources en faveur de l’œuvre qu’il avait fondée. Au cours des différentes étapes de son cheminement spirituel, il chercha toujours «le royaume de Dieu et sa justice» (Mt 6, 33), en se mettant à l’écoute du Seigneur et en discernant dans les problématiques signes des temps le dessein de la divine Providence.

Son intense charité se fondait sur le recueillement intérieur, sur la prière, sur l’adoration eucharistique et sur la dévotion mariale. Il puisait à la source de la vie spirituelle la force nécessaire pour s’approcher des plus faibles de la société, pour visiter quotidiennement les personnes qu’il assistait, pour partager avec tous leurs douleurs et leurs problèmes. En véritable disciple de Jésus, il ne se limitait pas à soulager les souffrances du prochain, ni à orienter ses frères vers un progrès seulement humain, mais il cherchait à élargir, en ceux qu’il rencontrait, leur horizon spirituel, en les invitant à la prière et à l’offrande de leur vie, en union avec la Passion du Christ. Le Serviteur de Dieu fut, tout à la fois, prudent et généreux, obéissant à la voix de sa conscience et attentif aux souffrances des autres, il fut humble et énergique, simple et lumineux. Son humilité était bien connue, notamment lorsqu’il reçut de nombreuses récompenses de la part des autorités civiles, en reconnaissance pour son engagement social : médailles d’or et d’argent, croix de la Légion d’honneur, médaille de Sainte-Hélène concédée par l’empereur Napoléon III.

Le Serviteur de Dieu mourut le 7 janvier 1862, pleuré par tous et accompagné par une éclatante renommée de sainteté.

En vertu de cette renommée, se tint, entre le 22 janvier 1989 et le 28 février 1990 auprès de la Curie ecclésiastique de Metz, une Enquête diocésaine dont la validité juridique fut reconnue par cette Congrégation par décret du 25 mars 1994. Une fois terminée la Positio, la Session des Consulteurs Historiens s’est tenue le 2 octobre 2001. Ensuite eut lieu la discussion, selon la procédure ordinaire, pour savoir si le Serviteur de Dieu avait exercé les vertus à un degré héroïque. Le Congrès particulier des Consulteurs Théologiens s’est tenu, le 20 septembre 2018, avec une issue positive. Les Pères Cardinaux et Évêques, au cours de la Session Ordinaire du 18 juin 2019, présidée par moi, Cardinal Angelo Becciu, ont reconnu que le Serviteur de Dieu a exercé les vertus théologales, cardinales et annexes, à un degré héroïque.

Après avoir présenté un rapport complet sur toutes ces phases au Souverain Pontife François, de la part du soussigné Cardinal Préfet, le Saint-Père, recevant et approuvant les recommandations de la Congrégation pour les Causes des Saints, a déclaré, ce jour même: Les vertus théologales de Foi, Espérance et Charité envers Dieu et envers le prochain, ainsi que les vertus cardinales de Prudence, Justice, Tempérance et Force et les vertus annexes, sont présentes, à un degré héroïque, chez le Serviteur de Dieu Étienne-Pierre Morlanne, chrétien laïc, Fondateur de la Congrégation des Sœurs de la Charité Maternelle.

Le Saint-Père a donné l’ordre de rendre public ce décret et de le transcrire dans les actes de la Congrégation pour les Causes des Saints.

Rome, le 5 du mois de juillet de l’an du Seigneur 2019.

ANGELO Card. BECCIU
Préfet

+ MARCELLO BARTOLUCCI
Archevêque titulaire de Bevagna
Secrétaire

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Robert Schuman
(1886-1963)

Homme politique français chrétien et fidèle du diocèse de Metz.
Il est entré dans l’histoire comme père de l’Europe communautaire.

Sa jeunesse

Robert Schuman (1886-1963) est entré dans l’histoire comme père de l’Europe communautaire, mais on mentionne rarement la foi rayonnante de cet homme politique français, grand chrétien et fidèle du diocèse de Metz. Certains parlementaires européens, par sympathie ou par raillerie, évoquent le 9 mai, date anniversaire de la déclaration fondatrice de la Communauté européenne du charbon et de l’acier, sous le vocable de « Saint-Schuman », honorant ainsi les convictions chrétiennes qui ont inspiré et animé l’œuvre politique du Père de l’Europe.

Jean-Baptiste Nicolas Robert Schuman naquit le 29 juin 1886 à Clausen (Grand duché du Luxembourg) d’un père lorrain devenu allemand suite à l’annexion de l’Alsace-Lorraine à l’empire wilhelmien, et d’une mère luxembourgeoise très pieuse. Comme tout bon lorrain, il fit de son dernier prénom son nom d’usage. Son enfance fut marquée par une éducation catholique exemplaire assurée par sa mère, Eugénie. Tous les matins en partant à l’école, il entendait sa mère lui dire : « N’oublie pas ton chapelet ». Il fit ses études à l’Athénée grand ducal où les nombreuses heures d’enseignement religieux hebdomadaires façonnèrent sa conscience morale et religieuse. Le jeune Robert dit un jour à l’un de ses camarades d’école qu’il voyait tricher à un examen : « Je ne peux pas t’en empêcher, mais sache que c’est un péché« .

À l’âge de 14 ans, le père de Robert mourut en laissant son fils unique seul avec sa mère. Les liens entre Robert et Eugénie, qui étaient déjà très forts, se resserrèrent après cet événement. Robert Schuman passa son Abitur au lycée impérial de Metz et s’en alla poursuivre ses études juridiques en Allemagne où il fréquenta les cercles d’étudiants catholiques de l’Unitas. Au sein de cette corporation, il étudia les encycliques sociales de Léon XIII et envisagea des moyens de mettre en œuvre concrètement l’enseignement de l’Église. Il fonda la section de l’Unitas de Munich. Les années étudiantes de Robert Schuman furent aussi marquées par le pontificat lumineux du saint pape Pie X. Il accueillit avec une bienveillance filiale les réformes liturgiques qui encourageaient la participation active et fréquente aux mystères et à la prière officielle et solennelle de l’Église.

En 1909, il accompagna sa mère à Rome pour assister à la béatification de Jeanne d’Arc : il s’agit de l’un des nombreux pèlerinages qu’il fit avec Eugénie, notamment à Lourdes. Quand il fut révoqué de service militaire, sa mère attribua cet événement à une grâce de la Sainte Vierge qui le lui permit « en remerciement pour tous les pèlerins qu'[il] lui envoyait à Lourdes« . En effet, Robert ne se contentait pas de participer à des pèlerinages, il en organisait aussi pour ses amis.

La vie de Robert bascula en 1910 lorsque sa mère mourut tragiquement dans un accident. Il envisagea alors sérieusement de se retirer du monde pour se consacrer à la prière dans la vie religieuse. Son meilleur ami l’en dissuada par un courrier : « Tu resteras laïc parce que tu réussiras mieux à faire le bien, ce qui est ton unique préoccupation. Je suis d’avis que les saints de l’avenir seront des saints en veston« . Schuman y répondit par une lettre poignante où l’on peut lire : « Je bénis Dieu qu’avec la douleur, il m’a accordé une consolation ; en enlevant ma mère il m’a donné l’ami. Je vivrai pour d’autres qui souffrent et qui ont besoin d’appui. Tu as si bien pressenti cette réflexion. Je souscris à tout ce que tu m’écris à ce sujet« .

Avocat et catholique

Après ses études, Robert Schuman fonda son cabinet d’avocat à Metz en 1912. Il fut introduit dans la société messine grâce à ses relations dans l’Église diocésaine : il était alors paroissien de l’église Saint-Martin. En 1913, il fut le responsable de la section francophone du plus grand rassemblement catholique allemand, le Katholikentag, qui se tenait cette année à Metz. Cette même année, l’évêque de Metz, Mgr Willibrord Benzler, qui avait su déceler le potentiel du jeune avocat, le nomma responsable des mouvements catholiques de jeunesse du diocèse.

La guerre éclata en 1914 et Robert, révoqué de service militaire pour des raisons de santé, ne participa pas au conflit. Il fut placé dans l’administration allemande et souffrit de cet isolement à la pensée de tous ses amis qui étaient au front. Au retour à la France des provinces perdues en 1918, le chanoine Henri Collin l’encouragea à s’inscrire sur la liste politique de l’Union Républicaine Lorraine. Il s’engagea contre son gré, car il avait peur « de perdre son âme » en entrant en politique. L’année suivante, il fut élu député et intégra la Chambre bleu horizon. Il participa activement à la réintégration juridique de l’Alsace et de la Moselle en préservant le statut concordataire et la législation sociale allemande qui étaient en vigueur dans les trois départements : défendre ces droits revenait aussi à défendre le statut de l’Église concordataire.

Un député sobre

Robert Schuman fut un député sobre dans son apparence et son mode de vie. Un article de presse raconte qu’il se rendait au restaurant de l’Assemblée national où il commandait des œufs mimosas, alors que ses collègues parlementaires se nourrissaient des mets les plus succulents de l’époque. Très attaché au diocèse de Metz, il y revenait presque tous les week-ends. Sur le conseil de l’évêque de Metz, Mgr Pelt, il fit l’acquisition d’une ancienne maison de vigneron dans la banlieue messine, à Scy-Chazelles, où il vécut sans chauffage central pendant près de 15 ans. N’ayant pas le permis de conduire, il avait l’habitude de rentrer chez lui par les transports en commun, voire en autostop. Proche de deux couvents, la situation idéale de cette demeure lui permettait de passer aisément du travail à la prière. Des témoignages rapportent que Robert Schuman allait à la messe quotidiennement, y compris quand il était à Paris, qu’il disait son chapelet et l’office monastique tous les jours : rien d’étonnant pour un homme qui avait pensé à la vie religieuse. Il hérita de la passion de sa mère pour la musique (il jouait volontiers quelques airs de Bach ou de Mozart à son piano) et pour les collections. Il possédait tous les autographes des papes depuis le XVe siècle et de nombreux autres autographes de saints. Il avait aussi amassé une collection de près de 8000 livres, dont un tiers d’ouvrages de théologie. Il se nourrissait de vies de saints et de la pensée des philosophes néo-thomistes, parmi lesquels Jacques Maritain tenait la première place.

Le travail parlementaire du député Schuman était exclusivement consacré à la défense des droits de ses compatriotes alsaciens et mosellans. Cet engagement le conduisit aux fonctions de sous-secrétaire d’État aux réfugiés. En raison de ses compétences et de la notoriété qu’il s’était acquise, il fut renommé, contre son gré, à ce poste par le maréchal Pétain. Schuman ne siégea jamais au gouvernement Laval, toutefois il profita de ses fonctions pour accompagner les réfugiés de l’est de la France dans leur exil, notamment à Poitiers.

En 1942, il rentra à Metz pour détruire une partie de sa correspondance à son bureau d’avocat. Il fut alors incarcéré par la gestapo. En prison, il demanda qu’on lui apporte la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin et L’Histoire des papes de Ludwig von Pastor. Il fut ensuite placé en résidence surveillé à Neustadt, d’où il s’enfuit en août de la même année. On le vit à Notre-Dame-de-Fourvière le 15 août, puis il disparut à la face du monde. Schuman se réfugia en secret dans des monastères, où il mena, jusqu’à la fin de la guerre, une vie de prière et de méditation.

Ministre

En 1945, Robert Schuman avait atteint la maturité humaine et spirituelle nécessaire pour accéder aux fonctions ministérielles. Son humilité et sa sobriété l’incitèrent à céder son appartement de fonction à son secrétaire, tandis que le ministre prit ses quartiers dans une modeste soupente du 7e arrondissement. La suite de sa vie publique nous est contée dans les livres d’histoire : il devint Ministre des Finances, puis Président du Conseil des Ministres, puis Ministre des Affaires étrangères, le mandat au cour duquel il donna la déclaration fondatrice de la CECA, et enfin Ministre de la Justice.

En 1956, il avait fait la promesse à son voisin de l’accompagner en Terre Sainte, une promesse qu’il tint malgré les fonctions ministérielles auxquelles il avait été nommé de manière inattendue. On vit ainsi le Ministre de la Justice, Robert Schuman, en pèlerinage à Jérusalem lors de la Semaine sainte, porter la Croix sur la Via crucis le Vendredi saint. Le chemin de croix de Robert Schuman commençait : la souffrance, la maladie, la mise à l’écart de la vie politique française avec l’arrivée de la Ve République. Schuman se retira progressivement dans la solitude de sa demeure de Scy-Chazelles où il rendit son âme à Dieu le 4 septembre 1963. Il fut inhumé dans le cimetière communal avant le transfert de ses cendres dans la chapelle fortifiée face à sa maison, où il repose au pied de l’autel et sous le drapeau européen.

On peut ne pas adhérer aux idées politiques de Robert Schuman, mais l’exemple de sa vie de foi, une vie nourrie de prière et de méditation, une vie orientée par une attention constante aux signes des temps, une vie sobre, une vie entièrement consacrée au service du bien commun ; cette vie est pour chacun de nous un modèle stimulant pour notre propre vie chrétienne.

Mgr Willibrord Benzler
(1853-1921)

Évêque allemand qui siégea à Metz durant l’Annexion.
Malgré sa tâche délicate, il sut se faire proche de la population et fut respecté et vénéré.

Un évêque allemand respecté et vénéré

La nomination au siège de Metz d’un évêque originaire d’Allemagne intervint dans un climat général relativement apaisé. En 1901 en effet, trente ans après le traité de Francfort, la population, bon gré mal gré, s’était dans sa très grande majorité accommodée du régime allemand et des familles catholiques allemandes en place depuis vingt ou trente ans avaient acquis une position notable. Par ailleurs, dans les régions industrielles, une immigration massive de travailleurs allemands et italiens avait brassé et renouvelé la population, ce qui posait des problèmes de pastorale jusque là inconnus. Malgré cette modification des structures sociales, le contexte restait cependant délicat et deux années de négociations difficiles avaient été nécessaires après la mort de Mgr Fleck, le gouvernement de Berlin voulant imposer un prélat alsacien rallié et refusant le candidat du clergé lorrain, pourtant plutôt modéré.  Né en 1853 dans une famille très catholique de Westphalie, Charles Benzler avait trouvé sa voie dans l’ordre de saint Benoît lors d’un passage à l’abbaye bénédictine de Beuron où il reçut le nom de Willibrord. Chargé successivement, en 1880, de la fondation d’une abbaye bénédictine dans la région de Prague, puis, en 1883, d’une autre abbaye en Styrie, avant de revenir, en1887, comme prieur à Beuron, il  avait rencontré à plusieurs reprises Guillaume II dans l’antique abbaye rhénane de Maria-Laach qu’il eut mission de restaurer à partir de 1892. Cette relation personnelle facilita sans doute le compromis qui aboutit à sa nomination au siège de saint Clément.

Invité par l’empereur, au moment de la prestation du serment de fidélité, à fortifier dans son diocèse « l’esprit de respect » envers lui et à « accroître l’amour de la patrie allemande« , Mgr Benzler se veut sujet loyal mais ne se prête pas à la germanisation systématique ; il respecte la sensibilité de ses diocésains francophones et fait de louables efforts pour s’adresser à eux dans leur langue, ne cherchant pas à germaniser le culte, l’enseignement et les publications catholiques. Comme vicaires généraux, il choisit des prêtres du pays, l’archiprêtre de Metzervisse, Nicolas Cordel, et le supérieur du grand séminaire, Jean-Baptiste Pelt. Cette attitude ne fut pas toujours bien comprise par les autorités allemandes et lui attira même les reproches de Guillaume II. Mais elle était parfaitement conforme à ses premières déclarations à Metz sur le caractère exclusivement religieux de sa mission et sur sa soumission absolue au Saint-Siège. Assez vite d’ailleurs ses diocésains l’adoptèrent, rendant hommage à son caractère droit et ferme, à sa piété et à son recueillement. Mgr Benzler pouvait aussi s’appuyer sur une nouvelle génération de prêtres plus ouverts au catholicisme allemand et très méfiants devant le renouveau de l’anticléricalisme militant en France. Cela l’encouragea à inviter les catholiques lorrains à dépasser leurs divergences d’origine dans une action sociale d’envergure. Il créa dans cet esprit une direction des Œuvres, il introduisit le Volksverein für das katholische Deutschland, un mouvement de masse qui fut à l’origine bientôt d’une branche francophone indépendante avec un style propre, l’Union populaire ; il développa aussi les associations caritatives, qui étaient fédérées dans laCaritasverband, ainsi que les associations catholiques de jeunesse à la tête desquelles il appela un jeune avocat messin, Robert Schuman. Personnellement discret sur le terrain politique, il approuva néanmoins les initiatives du « Zentrum », mais restait parfois inquiet devant la politisation des catholiques et le soutien apporté par quelques prêtres aux associations « patriotiques » comme le Souvenir français. Deux grandes manifestations publiques, qui connurent un énorme succès et qui rassemblèrent des milliers de participants à Metz, marquèrent son épiscopat : en 1907, le 18e Congrès eucharistique international, une manifestation purement religieuse dont les effets bénéfiques furent relayés par plusieurs congrès cantonaux, et, en 1913, le 60e Katholikentag, la grande réunion bisannuelle des catholiques allemands, considéré par eux comme le signe visible de l’incorporation du diocèse de Metz dans l’Allemagne catholique, même si l’évêque avait tenu à y faire fonctionner une modeste section de langue française pour les catholiques lorrains francophones.

Cette attitude ouverte et équilibrée fut de plus en plus difficile à maintenir durant les années de guerre, d’autant plus que l’évêque, déjà profondément affecté par la mort de son ancien maître des novices devenu un grand ami, l’abbé Hildebrand de Heptimme, connut aussi de graves problèmes de santé. Hospitalisé durant trois semaines à l’hôpital Sainte-Blandine à la suite d’un malaise cardiaque au mois de mai 1914, il était parti se reposer en Souabe et ne rentra à Metz qu’à la fin du mois d’août après la bataille de Morhange. Il se heurta immédiatement à l’hostilité des militaires qui, à la suite de la proclamation de l’état de siège, avaient supplanté les autorités civiles et qui lui reprochaient particulièrement la fuite en France de plusieurs prêtres, dont le chanoine Collin condamné pour haute trahison et déchu de la nationalité allemande. Il plaida aussi la cause d’une trentaine de curés de la région francophone qui avaient été arrêtés et internés à Ehrenbreitstein. Le problème crucial était en effet, aux yeux des militaires, l’usage de la langue française. La Revue ecclésiastique de Metz, qui était restée presque totalement de langue française, dut être remplacée par un simple bulletin administratif de langue allemande ; en revanche, Mgr Benzler réussit, au terme de négociations difficiles, à sauvegarder l’usage du français dans la liturgie sauf dans les paroisses totalement de langue allemande. La défiance envers l’évêque et une partie de son clergé se poursuivit néanmoins et de nouveaux curés, tels l’abbé Chatelain à Montigny ou le chanoine Nicolas Wagner à Thionville, furent traînés devant les tribunaux militaires et assignés à résidence. Profondément blessé par des articles agressifs et venimeux de la presse allemande, Mgr Benzler s’efforça cependant de rester loyal et fidèle à sa patrie : il continua, chaque année, de prescrire la célébration de la fête anniversaire de l’empereur au mois de janvier et recommanda même à ses diocésains de souscrire aux emprunts de guerre, « une entreprise éminemment patriotique« . Pour atténuer l’hostilité de l’administration militaire, il demanda à ses prêtres de remplacer la soutane par l’habit des ecclésiastiques allemands et d’éviter l’utilisation politique du culte de Jeanne d’Arc, une mesure mal comprise en France et qui déchaîna contre lui une bonne partie de la presse catholique française. De plus en plus reclus dans son palais, souvent malade, il vit avec angoisse la guerre se rapprocher de sa ville épiscopale : lorsque, en septembre 1918, une bombe française tombée dans le jardin de l’évêché blessa grièvement son domestique, il fit le vœu d’ériger sur une place de Metz une statue de la Vierge si la ville était épargnée ; ce fut son successeur, Mgr Pelt, qui réalisa ce vœu sur la place Saint-Jacques le 15 août 1924.

L’Armistice, avec la paix retrouvée, ouvrit une nouvelle période douloureuse pour Mgr Benzler. Il partagea sincèrement la joie de ses diocésains : « La certitude que le traité de paix rendra notre chère Lorraine à sa mère patrie vous comble de bonheur. Je comprends parfaitement cette joie ; je sais l’apprécier et j’y prends part de tout cœur. De même que j’ai porté avec vous les maux de la guerre, je puis bien maintenant aussi participer à votre joie ». Les représentants officiels français n’eurent malheureusement pas à son égard le tact et l’élégance qu’eurent les représentants du Reich vis-à-vis de Mgr Dupont des Loges et l’arrogance du commissaire de la République Mirman, qui provoqua même l’indignation de la population, alimentait ses craintes quant à l’avenir de l’Église de Moselle dans la République laïque de Clémenceau. Il était prêt à quitter le diocèse, mais en accord avec le Pape. Le 12 janvier 1919, il offrit donc sa démission, qui ne fut acceptée qu’au début du mois de juillet : le vicaire général Pelt était désigné pour lui succéder, Mgr Benzler héritant du titre honorifique d’archevêque d’Attalia. Il avait espéré assister au sacre de son successeur, mais il dut se résoudre à quitter Metz le 29 août avec une grande émotion, partagée par l’importante foule qui l’attendait dans le hall de la gare. Son état de santé continuant à se dégrader à Maria-Laach, puis à Beuron, il espéra trouver un peu d’adoucissement à ses souffrances dans un couvent de bénédictines à Lichtenthal, près de Baden-Baden, vers Noël 1920. C’est là qu’il rédigea ses souvenirs et qu’il mourut le 16 avril 1921. Il fut inhumé à Beuron le 20 avril en présence de Mgr Pelt et d’une délégation de prêtres du diocèse de Metz.

Mgr Willibrord Benzler qui, pendant dix-huit ans, s’était efforcé, dans des conditions difficiles, d’agir toujours comme évêque, avec des préoccupations uniquement pastorales, qui le firent aimer et respecter par ses diocésains et qui donnèrent à l’Église de Metz des institutions solides et diversifiées au moment de son retour en France, s’effaçait ainsi silencieusement et ce n’est que le 15 août 1999 que furent mis en place et bénis, dans la crypte des évêques de la cathédrale de Metz, une plaque commémorative et un buste en son honneur.

René Schneider

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