À Lourdes, les évêques reconnaissent la responsabilité systémique de l’Église

Suite à la publication du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE), la lutte contre la pédocriminalité fut l’un des sujets majeurs de la rencontre des évêques à Lourdes lors de leur assemblée plénière d’automne. Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France (CEF) a repris l’essentiel de la semaine vécue dans son discours de clôture. Déjà, le samedi matin, les évêques, des personnes victimes et des laïcs invités ont vécu un temps mémoriel, puis un temps de prière sur l’esplanade. Et ce lundi 8 novembre 2021, les évêques ont voté des résolutions concrètes pour une mise en œuvre concrète de la lutte contre la pédo-criminalité.

 

Discours de clôture de l’assemblée plénière des évêques

Téléchargez le discours de Mgr Eric de Moulins-Beaufort, président de la CEF : Assemblee-pleniere-des-eveques-de-France-cloture

Résolutions votées par les évêques de France

Rappel du point d’étape du 5 novembre 2021 : réunis en Assemblée plénière à Lourdes, après avoir reconnu lors de  leur dernière Assemblée en mars 2021 leur responsabilité en tant qu’évêques, les évêques de France ont pu vérifier qu’ils étaient d’accord pour :

 Reconnaître la responsabilité institutionnelle de l’Église dans les violences qu’ont subies tant de personnes victimes.
 Reconnaître la dimension systémique de ces violences : au sens où elles ne sont pas seulement le fait d’individus isolés, mais ont été rendues possibles par un contexte global. Des fonctionnements, des mentalités, des pratiques au sein de l’Église catholique ont permis que ces actes se perpétuent et ont empêché qu’ils soient dénoncés et sanctionnés.
 Reconnaître que cette responsabilité entraîne un devoir de justice et de réparation, qui ouvre la possibilité de demander pardon en vérité.

« Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » Mt 25,40

À l’écoute des personnes victimes d’abus et instruits par le rapport de la CIASE, les évêques de France ont voulu se mettre sous la Parole de Dieu qui les pousse à agir en prenant les mesures pour que l’Église accomplisse sa mission en fidélité à l’Évangile du Christ.

1. Mesures globales

Instance nationale
1.1 Pour les personnes victimes de violences et d’agressions sexuelles, les évêques de France décident que l’INIA créée en mars 2021 devient l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (INIRR). Sa présidence est confiée à Mme Marie Derain de Vaucresson, juriste, cadre du ministère de la justice ancienne défenseure des enfants adjointe du défenseur des droits de 2011 à 2014, dont la mission commence dès à présent avec les moyens financiers nécessaires. (R27-31-32)

Demande au Saint-Père
1.2 Les évêques de France réunis en Assemblée demandent au Pape, de qui ils tiennent leur mission, d’envoyer une équipe de visiteurs afin d’évaluer cette mission en ce qui concerne la protection des mineurs et de donner, si nécessaire, les suites qui s’imposent à l’issue de leur visite.

Financement
1.3.1 En vue d’indemniser les personnes victimes, les évêques de France s’engagent à abonder selon la nécessité le fonds SELAM en se dessaisissant de biens immobiliers et mobiliers de la CEF et des diocèses. (R33)

1.3.2 Un emprunt pourra être souscrit pour anticiper les besoins.

Synodalité
1.4 Pour donner suite aux travaux de l’assemblée plénière avec les personnes victimes et les autres invités, les évêques de France constituent des groupes de travail composés de laïcs, diacres, prêtres, personnes consacrées, évêques. Des personnes victimes y seront associées. Ces groupes reçoivent une lettre de mission du Conseil Permanent avec un échéancier. Ils lui rendent compte de l’avancement de leurs travaux en vue de l’Assemblée plénière. L’ensemble des groupes est piloté par un coordinateur (homme ou femme) placé sous la responsabilité du Secrétaire Général de la Conférence des évêques. Il coordonne le suivi des recommandations de la CIASE et le travail des groupes synodaux. Un temps de réception global de ce travail aura lieu au printemps 2023 en collaboration avec les religieux/ses (CORREF) et l’ensemble des forces vives de l’Eglise en France. (R34)

Les évêques décident la création des groupes de travail suivants :
1.4.1 Partage de bonnes pratiques devant des cas signalés
1.4.2 Confession et accompagnement spirituel (R8,45)
1.4.3 Accompagnement des prêtres mis en cause (R1)
1.4.4 Discernement vocationnel et formation des futurs prêtres (R44)
1.4.5 Accompagnement du ministère des évêques (R13,34)
1.4.6 Accompagnement du ministère des prêtres (R35,44)
1.4.7 Manière d’associer les fidèles laïcs aux travaux de la Conférence des évêques (R34,36)
1.4.8 Analyse des causes des violences sexuelles au sein de l’Eglise (R2)
1.4.9 Moyens de vigilance et de contrôle des associations de fidèles menant la vie commune et de tout groupe
s’appuyant sur un charisme particulier. (R5)

 

2. Mesures particulières

2.1 Les évêques de France décident un audit externe des cellules d’écoute des personnes victimes, aboutissant à une charte commune et un mode d’évaluation régulier à confier au Conseil de prévention et de lutte contre la pédophilie. Cette charte et cette évaluation sont proposées aux instituts religieux et communautés (R 15 à 22).

2.2 Les évêques de France demandent la vérification systématique des antécédents judiciaires de tout agent pastoral (laïc, personne consacrée, clerc) appelé à travailler auprès des mineurs. (R1)

2.3 Les évêques de France décident pour tous les prêtres (séculiers et religieux) l’instauration d’un modèle national de celebret mis à jour régulièrement, avec indication de la faculté de confesser.

2.4 Les évêques de France demandent la participation d’au moins une femme au conseil de chaque séminaire et de maisons de formation, avec droit de vote. (R6 – 44)

2.5 Les évêques de France confient au CPLP la mise en place d’un référentiel national de mesures de prévention pour les diocèses, les mouvements et les communautés (aménagement des locaux, formation obligatoire, évaluation, règlement…). Ce référentiel aboutit à une charte nationale de bonne conduite de protection des mineurs. (R45)

2.6 Les évêques de France font réaliser par un cabinet d’experts une recension des risques, à réactualiser (R35), ainsi qu’un dispositif de mesures préventives correspondantes. (R13)

2.7 Les évêques de France décident que les commissions et conseils de leur conférence soient tous composés d’évêques et d’autres membres du peuple de Dieu. (R36)

2.8 Les évêques de France s’engagent à demander, chacun pour son diocèse, la signature d’un protocole avec le ou les parquets concernés. (R29-42)

2.9 Les évêques de France choisissent de transférer pour l’année 2022 au 3ème dimanche de Carême, la journée de prière pour les personnes victimes de violences et agressions sexuelles et d’abus de pouvoir et de conscience au sein de l’Eglise, prévue le 3ème vendredi de Carême. (R26)

2.10 Les évêques de France, réunis en Assemblée plénière, décident d’ériger un tribunal pénal canonique national et approuvent les statuts de ce tribunal pour la première instance qui rentrera en fonction au 1er avril 2022. (R40).

2.11 La Commission doctrinale organise un travail sur tous les points doctrinaux mentionnés par le rapport de la CIASE (morale sexuelle, anthropologie, sacerdoce ministériel, instrumentalisation de la Parole de Dieu, distinction entre pouvoir d’ordre et pouvoir de gouvernement…), en s’appuyant sur les compétences des universités catholiques. Elle rend compte de l’avancée de son travail au Conseil permanent avant chaque Assemblée Plénière. (R4,7,11,34)

2.12 Les évêques de France demandent au Conseil pour les questions canoniques de préciser les recommandations du rapport de la CIASE qui doivent être soumises à l’approbation du Saint-Siège et les présenter à l’Assemblée plénière de mars 2022 (R9, 10, 37, 38, 39, 41).

 

Photo : Castelein-CEF

Geste mémoriel et temps de prière pénitentiel du samedi 6 novembre 2021

Prise de parole de Mgr de Moulins-Beaufort :

Petit enfant qui pleure,

Petit garçon qui t’en étais allé servir la messe, plein de fierté, petite fille qui allais te confesser le cœur plein d’espérance du pardon, jeune garçon, jeune fille, allant tout enthousiaste à l’aumônerie ou au camp scout. Qui donc a osé souiller votre corps de ses grosses mains ? Qui a susurré à votre oreille des mots que vous ignoriez ? Qui vous a imposé cette odeur qui vous imprègne ? Qui a fait de vous sa chose, tout en prétendant être votre meilleur ami ? Qui vous a entraîné dans son secret honteux ?

Petit enfant qui, à jamais pétrifié, pleure sous les voûtes d’une cathédrale, petit enfant des centaines de milliers de fois multiplié !

Quelqu’un t’a photographié. Il permet à beaucoup de te voir, de te regarder. Quelqu’un s’est reconnu en toi, a vu en toi l’image de sa destinée brisée, ravagée. Quelqu’un, en te découvrant un jour, a trouvé en toi un frère ou une sœur grâce à qui il allait pouvoir exprimer ce qu’il portait en secret, ce que tant et tant ont porté et portent sans trouver de mots pour le dire, sans trouver, et moins encore, de cœur pour les écouter.

Petit enfant qui pleure sur un pilier d’église, là où tu devrais chanter, louer, te sentir en paix dans la maison de Dieu, nous te regardons. Désormais, nous passerons devant toi en te voyant, en t’écoutant. Ô enfant bafoué, enfant humilié, enfant profané qui survit au fond de tant d’adultes ou adolescent suicidés, nous voulons apprendre à te regarder et à entendre le cri muet de ta souffrance.

Petits garçons, petites filles qui pleurez cachés dans les adultes que tous voient, adolescents murés en un silence qui vous a été imposé, nous vous devons cela. Nous vous le devons sous le regard de l’humanité, sous le regard de notre conscience, sous le regard du Christ notre Seigneur, que vous vouliez chanter de toute votre âme, de tout votre être, et devant qui à jamais vous pleurez.

Il est trop tard pour que nous puissions essuyer vos larmes. Il ne l’est pas de nous souvenir de vous. Votre image placée sous nos yeux, nous voudrions qu’elle imprègne nos âmes. Désormais, je ne peux entrer dans une église, pour y célébrer le mystère de la vie et de l’amour plus forts que la mort, sans porter le stigmate de votre visage qui pleure, si pauvre, si touchant, si seul, si désemparé, et si digne surtout. Tout le bien du monde ne rachète pas les pleurs d’un enfant.

Petit enfant qui pleure, petite fille, petit garçon, adolescente, adolescent, moi, Éric, évêque de l’Église catholique, avec mes frères évêques et les prêtres et les fidèles qui le veulent bien, j’implore de Dieu en ce jour qu’il m’apprenne à vous être fraternel. « Ce que vous avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.« 

Photo: KTO TV

Temps pénitentiel du samedi 6 novembre 2021 :

Ô Dieu que nous osons appeler « notre Père », pardonne-nous. Tu mets ton Église à nu, comme jadis Jérusalem, mise à nu à cause de ses crimes.

Nous pensions être préservés par la sainteté de ton Fils et le sacrifice qu’il a remis entre nos mains. Nous découvrons que nous sommes capables, nous tes ministres, nous que tu as appelés et choisis, de profaner ton don le plus ultime, de transformer en un système humain de dégradation, de mépris, de mort, le don jaillissant de ton Esprit.

Pardonne-nous de n’avoir pas compris combien le pouvoir que tu donnes exige de nous une clarté sans faille. Pardonne-nous d’avoir pris ta miséricorde pour une tolérance devant le mal.

Relève-nous, nous t’en prions. Refais nos cœurs. Inspire-nous comment aller vers celles et ceux que nous avons humiliés, négligés, blessés, abandonnés.

Relève les personnes qui souffrent, nous t’en supplions à genoux. Donne-nous de les écouter et de faire ce qu’elles nous demandent.

Ô Dieu que nous osons appeler « notre Père », pardonne-nous. Refais nos cœurs.

Inspire-nous comment aller vers celles et ceux meurtris et humiliés que nous avons négligés et abandonnés. Donne ta joie à celles et ceux à qui nous avons manqué, nous que tu as établis pour porter ta parole de grâce et qui avons failli.

Tu nous as appelés à enseigner, apprends-nous à écouter.

Tu nous as appelés à sanctifier, dépouille-nous de toute appropriation, que ta grâce nous maintienne en perpétuelle conversion.

Tu nous as appelés à gouverner, purifie-nous de tout goût du pouvoir, libère-nous de toute peur, à commencer par celle de perdre.

Dieu de justice et de miséricorde, Dieu de vie et de paix, prends-nous en pitié, viens au secours de notre humanité.

Photo KTO TV

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