Soutenir l'Eglise
Trouver ma paroisse
Espace Membres

Mardi 18 janvier

Commentaire de l’Évangile du jour : « Le sabbat a été fait pour l’homme, et non pas l’homme pour le sabbat » (Mc 2, 23-28)

Nous sommes au début de l’évangile de Marc, au lendemain du temps de Noël. Nous sommes donc au début de la vie publique de Jésus. Les événements s’enchaînent rapidement et dans ce chapitre 2 nous assistons à la guérison d’un paralytique, à l’appel de Lévi puis à un repas avec les publicains et déjà deux altercations avec les pharisiens et les scribes où il est question d’accusation de blasphème lorsque Jésus pardonne les péchés et guérit physiquement l’homme paralysé et de jeûne transgressé par ses disciples.

Le passage qui nous concerne enchaîne sur une nouvelle altercation avec les scribes au sujet de l’attitude des disciples le jour du shabbat, le septième jour, consacré au Seigneur. En effet, les disciples arrachent des épis dans les champs pour les manger, ce qui n’est pas permis ce jour-là.

Cette question de septième jour et du shabbat m’a reliée au texte de la Genèse, début du chapitre 2. Les versets 1, 2 et 3 reprennent à trois reprises le verbe « achever, finir » (Kaloh) qui dans sa forme intensive est aussi « détruire ». Nous prenons souvent le raccourci avec la traduction en pensant que, le septième jour, Dieu ayant fini son ouvrage se repose. Or en hébreu les mots portent en eux-mêmes plusieurs acceptions qui ne doivent pas nous échapper. L’achèvement de l’œuvre divine n’est pas une réalité statique et l’avènement du septième jour (racine sheba), un jour qui ne soit mouvement. Au verset 3, il est dit de l’œuvre créée toute entière, Dieu se retire (WaYishebot), que l’on voit traduit plutôt par « chôme » ou « arrêta ».  Or le septième jour ouvre sur l’intense bouleversement que suscite la présente du YHWH en l’Adam et l’appel de Dieu à une plus grande profondeur. Le sixième jour confère à l’homme-Adam sa dimension d’Image. Le septième jour « achève » l’œuvre de Dieu et il est même permis d’écrire qu’il la détruit non pas en son être créé (Dieu n’anéantit pas son œuvre) mais en son être fait (Dieu s’efface parce qu’en Dieu, ou de Dieu tout est accompli), pour que l’Homme advienne à un autre niveau de perfection, de conscience, vers la plénitude de la Ressemblance ce à quoi nous ouvre Gn2. Ce jour septième indique donc un « retournement divin » (racine Shoub) ou retrait pour amener l’Homme à participer à une plus grande Lumière. L’homme du sixième jour s’avance donc vers le terme de son enfantement.

Dieu « se retire » pour que le YHWH (semence divine) présent en l’Adam depuis l’origine, croisse, monte des profondeurs. Dieu appelle et Dieu se retire pour que l’Homme soit. Il n’y a pas de plus grand acte d’amour. Autrement dit, le Père laisse la place au Fils qui ne pourrait croître sans l’effacement de son auteur. Dieu n’est qu’amour et cela depuis toujours. Sa toute-puissance est celle de l’amour, uniquement celle de l’amour. Et nous pourrions dire que tout amour qui ne s’enracine pas dans cet effacement « shabbatique » pour que l’être aimé soit, est illusion. Pensons à l’enfance, à l’adolescence, autant de passages à franchir où il est impératif que les parents s’effacent pour que le jeune advienne à sa stature d’homme (homme et femme), se déploie dans toute la grandeur de sa personnalité et fasse grandir le noyau divin qu’il est, jusqu’à ce qu’il devienne lui-même « Fils ». Se retirer ne signifie pas s’absenter, même si parfois à l’égard de Dieu, cette pensée nous traverse. Il est comme l’inspir dans le souffle aussi indispensable que l’expir, jusqu’à ce que tout soit accompli.

Les disciples marchent à la suite du Christ comme ils marchent vers leur source intérieure, vers leur Nom divin, devenant « Fils » par l’expression de leur pleine liberté, par leurs choix et décision de suivre Jésus, « Toi, Tu es le Christ, le Fils du Dieu Vivant» (Mt16,16), « A qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle » (Jn 6,68). Mais ce chemin à la suite du Christ ne va pas sans drames. Pensons aux difficultés très concrètes à tout quitter, « beaucoup de ses disciples s’en retournèrent et cessèrent de faire route avec lui » (Jn 6,66), aux reniements de Pierre, aux jalousies, aux violences et pressions en tout genre, au vide et désarroi intérieur qui suivit la mort de Jésus, aux premières années de la vie de l’Eglise et aux nombreuses morts au nom du Christ.

Et pourtant, grandeur de ce jour septième où l’on assiste à quelque chose qui nous dépasse totalement et qui nous appelle à participer du plus profond de l’être à une plus grande Lumière. Mais jour terrible aussi où s’expriment toutes les contradictions qui nous saisissent, les oppositions qui nous divisent, les violences qui nous habitent et nous constituent, les hypocrisies qui nous arrangent, les mensonges et faux-semblant qui protègent toujours et encore notre moi, notre amour-propre. « Tu accoucheras dans la douleur » (Gn 1,18) et de cet accouchement de toi-même à ton NOM (divin), ce jour, c’est le jour du Seigneur, jour grandiose dont Jésus nous montre que « le Fils de l’Homme en est maître » et que l’Homme devenant Fils en est maître aussi. Aucun rite, aucune morale humaine n’est au-dessus de l’accomplissement de l’être humain dans sa divinité et c’est dans l’exercice de notre liberté que nous sommes véritablement des hommes, en travaillant à la libération de nos frères, à un monde plus humain. Si notre vocation est de partager la vie même de Dieu, le Christ ne peut être présent et agissant que dans nos décisions humaines humanisantes qui sont bien souvent des morts douloureuses à l’égoïsme et à nos illusions de toute-puissance ; on ne peut pas à la fois se donner et se garder pour soi ! « Dieu créé l’homme capable de se créer lui-même. Notre tâche humaine est de créer l’homme, c’est-à-dire de faire que l’homme soit.» (F VARILLON, Joie de vivre, joie de croire). Réjouissons-nous du Shabbat !

Myriam DUWIG

Partager