Repères spirituels
Nous voici au 5 ème jour du confinement décidé par nos gouvernants.Combien de temps durera l’application de ces mesures: difficile de le dire. Du fait de ces mesures imposées pour des raisons sanitaires, nous voici désormais entrés dans un temps de retraite pour le moins inattendu.Toutefois, si la vie sociale est désormais au ralenti, la vie spirituelle, elle, ne s’est pas arrêtée. Aussi, en nous appliquant à respecter ce qui nous est demandé, essayons de ne pas manquer au temps du carême.Rappelez-vous l’invitation du Mercredi des Cendres: «Comme moi, fais l’aumône de tes biens et de toi même»«Comme moi, dans le secret, joint ta prière à la mienne»«Comme moi, vide ta bouche pour chanter et louer les merveilles de Dieu» Trois paroles du Christ, trois invitations à le suivre et à chaque fois, un même refrain: «ton Père voit». L’aumône, la prière et le jeûne n’ont pas d’autre but: nous conduire, à la suite du Christ, jusqu’à Dieu et nous permettre ainsi de redécouvrir le regard qu’il nous porte.En fait, c’est le regard de Dieu et lui seul, qui est à l’origine et commande toutes nos conversions: «Ton Père voit». Mais plus encore, «Il voit dans le secret».reste dans le secretretire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porteconnu seulement de ton Père qui est présent au plus secret.Or, depuis une semaine, pour la majorité d’entre nous, les portes de nos maisons et de nos appartements se sont fermées et l’on nous a demandé de nous retirer au plus secret de nos vies privées. Il y a là comme une radicalité à laquelle nul d’entre nous ne s’attendait.Nous devons désormais apprendre à vivre comme des reclus. Ce n’est pas forcément notre vocation première et pourtant, ce peut-être une chance pour notre vie spirituelle, la chance de partager quelques passages obligés de la vie contemplative.Un moine ou une moniale ne passe pas son temps à ne rien faire, mais il entretient un rapport au temps différent du notre et vit dans un rapport à l’espace lui aussi très différent. Ce qui permet au religieux réguliers de tenir bon, c’est le respect des vœux, la prière bien évidemment, le travail, un juste repos et le soutien de la communauté à laquelle il appartient. Toutefois, ce ne sont que des moyens, le but ultime de la vocation contemplative étant un jour de voir Dieu.Lorsque l’on est tenu à vivre entre 4 murs, très vite, nous sommes confrontés à plusieurs difficultés. J’en évoque trois:Notre capacité à tenir bon dans la durée est mise à l’épreuve. C’est généralement au bout de 10-15 jours que l’on entre «dans le dur», que l’on commence seulement à éprouver les premières difficultés. J’ai ainsi mémoire d’un vieux moine auquel un jour je confiais mes difficultés de jeunes prêtre à tenir bon mon ministère qui me consola en me disant que pour un moine, c’étaient les 30 premières années les plus difficiles et qu’après ça allait mieux…
La seconde difficulté est liée à l’entropie. L’entropie c’est le propre du vivant. L’entropie, c’est l’augmentation du désordre, c’est la loi du chaos croissant.C’est l’entropie qui donne sa direction au temps.Vous en ferez vite l’expérience:c’est la nécessité de garder la maison propre et bien rangée, noria perpétuelle lorsque l’on vit en permanence à l’intérieur.Le danger est de laisser s’installer le capharnaüm. Or l’ordre et la propreté dans la maison ne sont pas sans lien avec le bon ordre et la propreté dans notre cœur et notre tête. Il convient de veiller à ne pas se laisser aller. Cette seconde difficulté et rejoint une troisième bien plus grave aux dire de St Thomas d’Aquin: l’acédie. Qu’est-ce que l’acédie? C’est un mot savant calqué du grec et employé dans le domaine moral, religieux et psychologique pour signifier un manque de soin. Les pères du désert diront que c’est un manque de soin pour la vie spirituelle. La conséquence de cette négligence est un mal de l’âme qui s’exprime par l’ennui, ainsi que le dégoût pour la prière, la pénitence et la lecture spirituelle. Au 4èmesiècle, après Origène, Evagre le Pontique, ermite de son état, parle de l’acédie comme de mauvaises pensées que le moine doit combattre pour atteindre l’impassibilité.L’acédie se résume ainsi: un rallongement de la perception temporelle, une aversion pour la cellule et la vie monastique, une instabilité intérieure, un vagabondage des pensées et une négligence envers les devoirs monastiques, le tout poussant l’acédieux à fuir. «Le démon de l’acédie, qui est aussi appelé « démon de midi », est le plus pesant de tous; il attaque le moine vers la quatrième heure et assiège son âme jusqu’à la huitième heure. D’abord, il fait que le soleil paraît lent à se mouvoir, ou immobile, et que le jour semble avoir cinquante heures. Ensuite il le force à avoir les yeux continuellement fixés sur les fenêtres, à bondir hors de sa cellule, à observer le soleil pour voir s’il est loin de la neuvième heure, et à regarder de-ci, de-là quelqu’un des frères […]. En outre, il lui inspire de l’aversion pour le lieu où il est, pour son état de vie même, pour le travail manuel et, de plus, l’idée que la charité a disparu chez les frères, qu’il n’y a personne pour le consoler. Et s’il se trouve quelqu’un qui, dans ces jours-là ait contristé le moine, le démon se sert aussi de cela pour accroître son aversion. Il l’amène alors à désirer d’autres lieux, où il pourra trouver facilement ce dont il a besoin, et exercer un métier moins pénible et qui rapporte davantage; il ajoute que plaire au Seigneur n’est pas une affaire de lieu: partout en effet, est-il dit, la divinité peut être adorée. Il joint à cela le souvenir de ses proches et de son existence d’autrefois, il lui représente combien est longue la durée de la vie, mettant devant ses yeux la fatigue de l’ascèse; et, comme on dit, il dresse toutes ses batteries pour que le moine abandonne sa cellule et fuie le stade.» Dans le même temps, Évagre le Pontique proposera plusieurs remèdes simples pour s’en prémunir: pleurer, développer une hygiène de vie, s’appuyer sur les Écritures, penser à la mort, tenir coûte que coûte. Toutes ces notions sont à comprendre en relation avec Dieu. Au 5èmesiècle Jean Cassien le père de la vie monastique en communauté, soulignera qu’en se refusant à l’effort, au travail, l’acédieux ne connaît ni stabilité, ni contemplation. La question de la stabilité est cruciale pour la vie monastique. Or c’est le travail qui, précisément, permet à la communauté d’assurer sa pérennité et son indépendance vis-à-vis du monde séculier. Les moines qui refusent de travailler mettent donc en danger la survie de la communauté, devenant «des membres corrompus par la pourriture de l’oisiveté». De plus, ils s’opposent avec orgueil à l’injonction divine qui, après la Chute, impose aux hommes de travailler à la sueur de leur front (Gen. 3, 17-19).
Père Philippe